« Faites turbiner votre argent » peut-on lire dans la presse économique.
Sous couvert de production d’énergies renouvelables (mais pas durable!) censée limiter les émissions de gaz à effet de serre, des centaines de projets de microcentrales sortent des cartons.
Le revers de la médaille est la détérioration du cycle naturel de l’eau et des milieux aquatiques.
En effet l’impact cumulé de l’implantation massive de ces microcentrales sur nos cours d’eau n’est jamais pris en compte par les commissaires-enquêteurs et les services de l’Etat lors des demandes de porteurs de projet, alors qu’il est catastrophique pour la qualité de l’eau et la faune aquatique qui en est l’expression visible :
Accumulation de tronçons court-circuités et augmentation des températures
Perturbation du transport solide
Variations brutales des débits qui entraînent en successions rapides la mise en assec ou l’ennoiement du lit des cours d’eau et la mortalité de la microfaune aquatique
Diminution des surfaces de frayères et donc de reproduction des espèces piscicoles.
Elles ont de plus pour objectif le seul rendement financier, la plupart des propriétaires possédant déjà plusieurs de ces microcentrales. Mais le très faible intérêt énergétique est sans commune mesure avec les perturbations du milieu naturel que ces installations provoquent. Sur celles déjà existantes certains propriétaires, lors de leur mise aux normes environnementales, en profitent pour faire une demande de rehausse des seuils afin d’augmenter le rendement.
Toutes les études montrent que les cours d’eau soumis à l’hydroélectricité sont en état dégradé, avec des barrages non adaptés à la continuité écologique, en particulier au transit sédimentaire qui permet aux cours d’eau de s’auto-épurer et maintenir sainement la vie aquatique, a l’inverse de ces ouvrages lors des vidanges.
Anper s’oppose fortement à ces projets en multipliant les recours, parfois en collaboration avec d’autres ONG.
Par ailleurs, ANPER a tenu à repréciser sa position en réaffirmant qu’elle n’a jamais été signataire de la “Convention pour une hydro-électricité durable de 2010”, et les parties effectivement signataires de cette convention tout comme le ministère ont été destinataires de nos explications sur ce point.
En réponse à l’article de MR Bertrand ROUZIES de Médiapart
Nous étions loin d’imaginer que Médiapart, qui dénonce avec courage toutes les magouilles, serait un jour l’objet d’une telle manipulation. Que ce genre de désinformation se retrouve dans Le Figaro, passe encore, mais au même moment dans Le Canard Enchaîné et dans Médiapart, cela montre que les lobbyistes sont efficaces et que les journalistes manquent de recul, à moins qu’il ne s’agisse de ‘’Journalisme d’école hôtelière’’, qui se résume à passer les plats. Nous ne pouvons y croire, à moins d’être vraiment bien naïf.
Tout d’abord il y a dès le titre une volonté bien entretenue et de ce fait assez malhonnête d’amalgamer aménagement des seuils et destruction des moulins. Et le recours à l’hagiographie chrétienne, pour pertinente qu’il soit d’un point de vue culturel, oriente le discours. Récupérer au Moyen Âge des terres arables a eu du sens tant que l’équilibre entre nature et culture garantissait une harmonie. Cet équilibre est désormais rompu, et le changement climatique, quoique bien réel, a bon dos. Par exemple, ce qu’on appelait autrefois « marécages », désigne en fait des zones humides qui régulent la disponibilité en eau bien mieux que les plans d’eau artificiels, et dont la destruction systématique augmente à la fois les sécheresses et la violence des crues.
Mais il y a des questions qui sont éludées : “Qu’est-ce qui est ‘’patrimonial’’ dans un moulin ? En quoi un moulin qui ne mouline plus est-il légitime à en conserver les droits d’eau ?” Et surtout: “En quoi le non-respect des règles de gestion des vannages qui légitimaient les droits d’eau – lorsque ces droits d’eau ‘’en titre’’ ou ‘’sur titre’’ existent encore effectivement – doit-il être accepté et devenir un privilège sans contrepartie ?” Sans parler du fait que la diminution en cours des débits des cours d’eau, le ralentissement lié aux seuils qui provoque le réchauffement et la concentration des polluants, posent de nouveaux problèmes de qualité.
Quant au potentiel de production électrique par les anciens moulins, il est aussi peu crédible de par sa faible production que fortement subventionné, et il ne suffit pas d’accumuler des potentiels théoriques et de les multiplier par un nombre tout aussi théorique de moulins plus ou moins encore en état pour aboutir à une seule tranche nucléaire. Et n’oublions pas que si une roue de moulin ne fonctionnait ni toute la journée, ni toute la semaine, ni toute l’année, une turbine barre le cours d’eau en permanence, et essaye de fonctionner le plus longtemps qu’elle le peut.
Il se passe surtout que la simple mise en conformité des anciens moulins avec les règles de fonctionnement (gestion permanente des vannages, mises à l’arrêt des roues, curages des biefs) qui justifiaient leurs droits d’eau et qui sont aussi anciennes qu’eux, cette remise en ordre résoudrait la plupart des problèmes liés à la présence des seuils. Mais comme ces règles ont été oubliées par les administrations, les notaires et les propriétaires eux-mêmes, le rétablissement d’une continuité qui n’aurait jamais dû être oubliée pose des problèmes de remise en état, et que cela coûte cher, ce qui fait se regrouper les propriétaires en associations qui sont à la continuité écologique ce que Claude Allègre ou Donald Trump sont au changement climatique. Et il n’est pas jusqu’au ‘’idiots utiles’’, scientifiques pris en-dehors de leur savoir réel, pour qu’on leur fasse dire des bêtises.
Arasement partiel d’un seuil sur le Couesnon
Tout ceci est parfaitement renseigné par de nombreuses études et retours d’expérience, en particulier les documents repris par l’Onema, désormais OFB. Mais depuis que la science est devenue une opinion parmi d’autres, on peut écrire n’importe quoi pourvu que cela ait une apparence de réel et surtout corresponde à des intérêts privés.
Josselin de Lespinay
Membre d’ANPER et du Comité de bassin Loire-Bretagne et de la Commission des milieux naturels, ancien membre de la défunte Commission « Charte des moulins » du CGDD (MTES)
Objet : Réponse à l’article de M.GUEDE intitulé « Les moulins à eau condamnés au naufrage »
Madame, Monsieur
PAN SUR LE BEC
L’Association Nationale de Protection des Eaux et Rivières « Truite, Ombre, Saumon », tient particulièrement à apporter les précisions suivantes suite à l’article intitulé « Les moulins à eau condamnés au naufrage » paru sur “le Canard enchainé“, le 19 août et signé de M.GUEDE.
Ancien moulin de Vigeois (Source, Fr3 régions)
Le « rétablissement de la continuité écologique » est une formule dont l’intitulé montre qu’il s’agit de « rétablir » une continuité qui a donc été interrompue. En effet depuis l’abandon de ce qui justifiait les droits d’eau des moulins (fondement ‘’en titre’’ ou ‘’sur titre’’ qui permet d’utiliser la force motrice de l’eau), à savoir la nécessité de produire de la farine (ou de l’huile, ou autre usage ancien) les services de l’Etat et les notaires lors des changements de propriétaires ont négligé d’informer les possesseurs de moulins de ce que les droits d’eau (droits d’usage révocables et non propriété de droits) étaient liés à des obligations de gestion des vannages, de la continuité, de la libre-circulation des espèces et des sédiments. Les moulins utilisant leur roue pour actionner des meules ou un alternateur ne sont pas comparables à ceux équipés d’une turbine pour produire de l’électricité. Tout d’abord parce que les moulins ne fonctionnaient ni toute la journée, ni toute la semaine, ni toute l’année, alors que ceux équipés d’une turbine cherchent à maximiser leur production et de ce fait barrent le cours d’eau en permanence. On ne doit pas non plus oublier, et les études historiques le montrent, que dès l’apparition des moulins des espèces ont disparu (la plus remarquable étant parue dans la prestigieuse revue «Nature » en 2016, annexée à ce courrier) et que toutes les autres ont été contraintes par les modifications de l’écoulement des eaux. Si bien d’autres espèces ont pu se maintenir jusqu’à l’ère industrielle, cela tient à ce que la masse de reproducteurs a longtemps dépassé les surfaces de frayères disponibles, et cela dans des volumes et une qualité d’eau longtemps excellente dont le changement climatique, les prélèvements et la pollution, en particulier agricoles, ont considérablement diminué le volume utilisable pour faire fonctionner un moulin, sans parler de la qualité.
Le coût des passes à poissons est lié au fait que les turbines, même dites ‘’ichtyophiles’’, en barrant en permanence un cours d’eau, ne peuvent être compensées en matière de continuité, et fort mal presque toujours, que par une passe à poissons et à sédiments. On oublie toujours et par contre le « coût » induit en matière de biodiversité, mais aussi d’économie par la perte de continuité, les espèces migratrices étant un patrimoine tout aussi important que les moulins eux-mêmes et très largement documenté également.
Les propriétaires d’anciens moulins brandissent des droits d’eau, mais ils en négligent presque toujours les devoirs, soit par ignorance, soit pour ne pas avoir à assumer les coûts induits par la restauration de leur relative transparence pour les espèces et les sédiments. Ils se tournent alors vers des associations qui défendent essentiellement la micro-hydroélectricité, et utilisent la désinformation permanente sur ce sujet, en prenant les – très – nombreuses études et les retours d’expérience comme étant de l’ordre de la simple opinion. Elles font croire que le rétablissement de la continuité serait une invention des ‘’Zécolos’’, alors qu’il ne s’agit que d’appliquer les règles qui les concernent depuis leur création et donc de rétablir ce qui a été interrompu et dont les conditions actuelles intensifient les effets négatifs. Les premiers classements de cours d’eau datent de la deuxième moitié du XIXème siècle, et les règles sur la gestion des moulins sont liées à leur origine même. Donc comment cette catégorie de propriétaires peut-elle vouloir reporter sans cesse les échéances de ce qui constitue depuis toujours ses obligations ?
Il existe de très nombreux exemples de transformations de seuils de moulins réalisées à la satisfaction générale, et sans frais excessifs. Il s’agit souvent de la réalisation d’une simple échancrure, d’une passe rustique ou encore plus simplement de la remise en place des règles, aussi anciennes que les moulins eux-mêmes, qui en régissaient l’usage.
Et si effectivement le paramètre chimique est une des causes de la dégradation des cours d’eau on ne doit pas oublier que tout barrage ou seuil en augmente les effets négatifs par le ralentissement de l’eau qui en diminue l’oxygénation et donc les capacités épuratoires qui sont celles d’une eau libre et vive.
On trouvera toutes ces réponses développées par le document de l’Agence Française de Biodiversité annexé à ce courrier .
Espérant avoir apporté les éclaircissements qui nous semblaient nécessaires, nous vous prions d’agréer Madame, Monsieur, l’expression de nos sincères salutations.