Une mesure d’urgence… insuffisante
Le 23 novembre 2023, alarmée par une nouvelle dégradation la situation du saumon en Bretagne, ANPER-TOS soumettait un courrier au Préfet de Région lui exposant ses inquiétudes.
Nous avions bien entendu listé les menaces existentielles qui continuent de peser sur l’avenir de l’espèce et contre lesquelles l’État en dépit des belles paroles ne semble pas disposer à lutter efficacement. Un rétablissement urgent des conditions de migration est urgent, en particulier sur les rivières canalisées et dont l’utilisation en tant que telle est dérisoire alors que les conséquences sur les écosystèmes sont éminemment néfastes. Ailleurs de multiples petits seuils continuent d’entraver le parcours des poissons. Nous nous réjouissons d’ailleurs qu’après des années de bataille judiciaire et administrative le seuil du Moulin marchand sur le Léguer a enfin été arasé en juin dernier.
D’autre part les nuisances d’origine agricole persistent, et comme le faisait remarquer un environnementaliste, la fréquence des accidents est telle qu’il s’agit plus de négligence et de désinvolture. Il n’est pas normal non plus de voir les porcheries continuer à s’agrandir, générant toujours plus de rejets, outre les incidences à portée plus large voire mondiale, le soja nourrissant les porcs participant à la déforestation en Amérique du Sud, et au changement climatique dont pâtit le saumon.
Nous avions demandé au Préfet, en attendant des mesures fortes de préservation et de restauration des milieux d’eau douce, de sauver ce qui pouvait encore l’être et donc que le moindre saumon qui réussissait à rejoindre les zones de frayères fut à tout prix épargné et donc d’interdire tout prélèvement de l’espèce. Il est vraisemblable que la pêche aux lignes n’a eu par le passé qu’un impact limitant dans la survenue de la situation actuelle. Voire ? Prélever à outrance les saumons de printemps n’a peut-être pas été si anodin que ça sur le long terme… Il n’empêche c’est une question de responsabilité individuelle et collective au vu de la situation…
Cette année 2024 se termine sur une note catastrophique en Bretagne :
Un seul saumon de printemps et 45 castillons au moulin des Princes sur le Scorff, station de référence de l’INRAE et 255 saumons sur l’Elorn soit les effectifs les plus bas jamais enregistrés, 199 sur l’Aulne à Chateaulin (Observatoire des poissons migrateurs en Bretagne ).
Les indices d’abondance 2023 se sont avérés extrêmement inquiétants, le Léguer usuellement si productif s’effondrant littéralement, Bretagne Grand Migrateurs estimant la production de juvénile 0+ à seulement 3827 individus (!), soit à peine 10 % de la moyenne des dix années précédentes. Ces petits poissons ont du pour l’essentiel d’entre eux gagner l’Océan Atlantique au printemps 2024 ce qui laisse présager de très faibles remontées de castillons en 2025 et de poissons de printemps en 2026. Cette tendance est observée sur tous les cours d’eau Bretons.
Le Scorff
Le Comité de Gestion des Poissons Migrateurs (COGEPOMI), placé sous l’autorité du préfet de Région, s’est réuni le 15 novembre et a décidé de ne pas ouvrir la pêche aux lignes du saumon en 2025, les participants exhortant également l’administration à renforcer sa politique de préservation des milieux avant qu’il ne soit définitivement trop tard. L’arrêt de cette pêche est une bonne et une mauvaise nouvelle.
Bonne parce qu’enfin on va laisser en paix les quelques poissons qui pourraient encore assurer l’avenir, et tant pis pour le loisir pêche que nous avons longtemps exhorté à prendre ses responsabilités, ne serait-ce qu’en pratiquant une pêche responsable, prohibant les hameçons triples et les appâts naturels (pêches « à avaler »), interdisant la capture des saumons de printemps, à l’instar de ce qui se pratique en Irlande, un tiers des rivières y sont en no kill, mouche ou leurre seulement sans hameçon triple, un autre tiers sont fermées, un autre tiers sont ouvertes avec des quotas strict et revus chaque année comme ici ;
Salmon and Sea Trout Angling Regulations 2024
ou en Écosse (il est interdit de garder les femelles, les appâts naturels sont très largement prohibés, exemple la Spey).
- Mauvaise parce que bien évidemment il est acté que les stocks sont dans un état de conservation très défavorable, mauvaise parce que les pêcheurs sont pénalisés, mauvaise parce que si le saumon disparaît cela laissera le champ libre à l’agro-industrie et aux microcentrales, ce contre quoi beaucoup d’associations de pêche bretonnes sont très engagées.
- Mauvaise aussi car le nouveau modèle de gestion RENOSAUM n’a pas su prévoir cette situation, au contraire il continuait d’attribuer des TAC. Cela le remet complètement en cause, il faut revoir l’approche et notamment pouvoir connaître en temps réel l’état des remontées avant d’autoriser toute pêche ou prélèvement. Or il n’y a que trois rivières équipées compteurs en Bretagne…
Néanmoins vu l’urgence cette décision s’imposait. Nous regrettons vivement que nos suggestions n’aient pas été prises en considérations plus tôt, nos contacts avec Bretagne Grand Migrateurs et l’OFB local remontant à 2016 et déjà nous pointions du doigt les failles du système et nous réclamions un arrêt des prélèvements de poissons de printemps, a minima. Il aurait été possible de préserver le loisir pêche encore à cette époque, en engageant une mutation profonde, en privilégiant uniquement les leurres et la mouches avec hameçon simple sans ardillon et en pêchant en no kill uniquement. Nous nous étions vus opposés des fins de non-recevoir successives, aussi butées que condescendantes. Il est même navrant de voir aujourd’hui certains acteurs qui il y a quelques années balayaient nos demandes d’un revers de main tenter d’obtenir désespérément un maintien de la pêche en no kill…
Ce n’est donc que huit ans plus tard et une fois au pied du mur que les gestionnaires, contraints et forcés par une situation qu’ils n’ont pas voulu anticiper et pas su prévoir, ont pris une décision aussi radicale que désespérée.